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derrière la porte
1 septembre 2008

Le repas - partie 1

Il fait chaud, terriblement. La lumière écrase le paysage, la terre si rouge en devient sombre. La tête ploie sous ce joug invisible mais palpable L’air est dense, on pourrait s’y noyer facilement, d’ailleurs il cogne dans la tête. Ou bien c’est le bruit des cigales ?

Je marche difficilement dans cette fournaise, je n’y vois pas à deux mètres tant mes yeux sont secs et brulants. Je marche simplement d’une case à l’autre, et pour cela j’ai dû m’exposer à la lumière directe du soleil. Difficile en milieu de journée.

Ma mère est seule là-bas, je vais la rejoindre. Si je suis perdue ici, elle l’est davantage car prisonnière de ses à-priori. J’ai souhaité ce voyage avec elle pour retrouver un peu de complicité et sans doute aussi pour me sentir un peu moins coupable. Nous savons toutes deux ce que chacune reproche à l’autre, mais de le savoir ne rend pas les choses plus facile. D’être soi-même maman permet de mesurer l’immense différence de difficulté qu’il y a entre « être mère » et « être fille ». Si l’on fait entrer dans la danse l’image de la mère de la mère, tout devient encore plus complexe. Je sais, elle sait que nos relations ne pourront jamais être simples et claires malgré tout nos efforts pour ne rien nous cacher. La cause de ce problème est hors de nous et à mon humble avis la solution l’est aussi. La solution ne peut venir que de l’extérieur.

Je marche donc vers la case où elle doit se trouver. Je suis entourée d'un essaim de moustiques, de ces moustiques pouvant fort bien me refiler le palu. Je suis donc couverte de lotion répulsive et de tissus de la tête aux pieds.

J'approche de la case où elle est logée, avec deux autres femmes. Il exhale de la case une odeur de viande cuite, le bruit crépitant des gouttes de graisse tombant dans les braises mettent en appétit. Il faudra attendre la nuit pour manger, là il fait trop chaud. L'odeur de viande cuite est presque celle du brûlé, oui, une odeur de chair brûlée.

Je m'approche donc de la case fumante et me baisse pour passer la porte. On y plonge la tête, et l'on est dans un autre monde.
Un monde rond, du sol au plafond. Un monde sombre, presque noir. Un monde où il y a peu d'objets, mais chaque objet est d'une grande valeur.
Rentrer dans cette case, c'est accepter le noir, la promiscuité, un frisson sur la peau car on passe de 50 degres au soleil à 35 degres à l'intérieur.

Et cette odeur forte me prend le nez en rentrant. De la viande cuit donc. L'africaine qui m'accompagne me dit que l'on prépare ici le repas festif de ce soir, que tout le village va partager. C'est rituel.

Tout est sonbre à l'intérieur. J'ai peur de voir un serpent se faufiler dans le noir. J'ai peur aussi que ce noir ne cache quelques personnes transpirantes de fièvre joue ou de la maladie du sommeil. Oui, des gens sont là couchés sur des nattes, malades, le long des murs verdatres.

Au centre cuit un beau morceau de viande. On le mangera bien cuit ce soir. Ce sera ainsi que le marabout pourra guérir ma jambe malade, sans doute rongée par une sorcière. Il ne faut pas la laisser faire, sinon c'est mon âme qu'elle mangera.

Je cherche des yeux ma mère, je ne la vois nulle part ici. Tant pis, qu'elle se débrouille.

eugene_delacroix_medee_sur_le_point_de_tuer_ses_enfants

Delacroix - "Médée sur le point de tuer ses enfant
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