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derrière la porte
22 septembre 2008

La mort de l'homme-boeuf



Nous nous promenons dans la campagne, elles deux et moi. Toutes les trois dans la voiture, nous regardons - inspectons - les champs et les prés. Contre une barrière git un boeuf, mort. Il a deux pattes sectionnées, en témoignent les moignons sanglants pointés vers le ciel. Sa tête est partiellement détachée du corps.

Nous décidons d'emporter l'animal pour l'enterrer. Un boeuf mérite mieux que de pourrir à travers champs. On le charge dans la voiture et l'on va à la ferme, chez l'une des deux femmes, celle qui conduit. On installe la dépouille du boeuf dans la grange, pour le préparer à son enterrement. Par les moignons et le cou, nous faisons couler dans son corps de l'eau bénite afin de le purifier. Nous recousons une de ses patte.

Le boeuf n'est plus un animal, c'est maintenant une sorte d'homme aux membres coupés. Il ignore sa propre mort, il ignore qu'il n'a plus qu'un bras. Il pleure et gémit qu'il a mal, qu'il est vivant et qu'il ne veut pas être enterré.

Nous devons pourtant poursuivre les rituels afin qu'il soit en paix : le rincer à l'eau bénite, et enduire ses moignons frais de graisse. L'homme-boeuf refuse de subir les rituels de mort, il ignore sa propre mort. A trois, nous arrivons à le persuader de se laisser rincer à l'eau. Pour la graisse c'est autre chose. Nous savons qu'oindre ses moignons de graisse sera douloureux. C'est pourtant indispensable.

Il m'est dévolu la tache de l'immobiliser à l'aide de tissus et d'attèles en bois, et je m'exécute. Je détourne ensuite son attention pour qu'il souffre moins : je lui gratte la tête et prononce des paroles apaisantes. L'homme-boeuf a compris, il a peur. Ses yeux pleurent sans larmes. Il se laisse faire. Il est prêt.

Nous nous exécutons rapidement, puis nous le chargeons à nouveau dans la voiture pour l'amener à l'hopital. La bas, les derniers soins lui seront apportés avant son enterrement.

L'homme-boeuf a peur, il tremble, il a mal, il ne veut pas être mort. Je me souviendrai de lui dans les draps blancs du lit d'hopital.

Nous l'accompagnons dans son dernier voyage.

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